Développement de carrière
Travail et identité : comment éviter le burn-out quand la carrière nous définit

Dans une société où la performance et la réussite professionnelle occupent une place importante, il n’est pas rare que le travail finisse par devenir notre identité. S’agit-il d’un moteur de performance ou, au contraire, d’un danger pour la santé physique et mentale?
En avril 2024, la stratège marketing et conceptrice-rédactrice Marie-Ève Plamondon publiait un texte¹ dans lequel elle remettait en question l’importance et la place qu’elle accordait à son travail. Pour elle, le signal d’alarme a retenti lorsqu’une mauvaise grippe l’a empêchée de travailler autant qu’elle l’aurait voulu. Après avoir pris conscience de la détresse alors provoquée chez elle, elle a décidé de creuser davantage avec l’aide de sa psychologue.
«J'ai compris que j’accordais trop d'importance à mon travail parce que c’est ma façon de définir ma valeur. Je cherchais un sens à ma vie. Je voulais apporter du positif à la société et changer le monde à mon échelle», confie-t-elle. Un poids très lourd à porter qui a fini par engendrer un sentiment d’accablement et d’impuissance.
Surinvestissement et compulsion
Lorsque travail et identité ne font qu’un, l’engagement envers l’emploi s’en trouve généralement exacerbé. Ce qui semble être un point positif de prime abord peut néanmoins se transformer en piège insidieux sur le plan personnel. Risques d’épuisement professionnel, de dépendance au travail, de perte de repères en cas de licenciement… Les conséquences négatives peuvent être nombreuses.
« Le workaholism revêt deux dimensions distinctes : le surinvestissement et la compulsion. Bien que les deux puissent coexister, la seconde est la plus dommageable. On est alors incapable de se détacher et de prendre ses distances par rapport à ses tâches. On a des pensées envahissantes », détaille Simon Grenier, psychologue organisationnel et professeur agrégé au Département de psychologie de l’Université de Montréal.
Il précise que la motivation extrinsèque – comme le besoin de reconnaissance, l’argent, la protection de l’ego – a tendance à mener à la compulsion et, à long terme, à l’épuisement. En revanche, la motivation autonome, c’est-à-dire le fait de valoriser son travail et d’en reconnaître les impacts positifs sur son environnement, incitera peut-être à un surinvestissement, mais générera, en retour, satisfaction, bien-être et sentiment d’accomplissement.
Mario Côté, CRHA, consultant, conférencier et formateur, établit des dimensions similaires. « Selon les chercheurs Vallerand et Houlfort, on retrouverait deux formes de passions au travail : l’obsessive et l’harmonieuse. Les deux sont sources de performance, mais la première peut s’avérer destructrice sur le plan psychologique, car on ne parvient pas à s’extraire de ses tâches », illustre-t-il. Inversement, la passion harmonieuse protégerait contre les conséquences négatives d’un engagement intense, en offrant la capacité de s’en détacher au besoin.
L’influence du contexte et de la culture
Simon Grenier ajoute que le contexte peut aussi peser lourd dans la balance, en particulier lorsque le travail est perçu comme une vocation (professions de la santé, enseignement, etc.). « Dans ce cas, même si on se surinvestit, cela demeure porteur de sens et constitue une source de motivation autonome. Mais lorsque cela s’effectue dans un environnement difficile, quand les demandes du travail sont grandes et que l’on manque de ressources par exemple, alors le bien-être est moindre et le risque d’épuisement professionnel est accru », prévient-il.
La culture organisationnelle a aussi son importance, surtout lorsqu’elle favorise l’attraction de profils très axés sur la performance, précise le psychologue organisationnel.
Mario Côté note, par ailleurs, des difficultés potentielles dans les secteurs où il faut constamment se dépasser, comme ceux des arts, de la restauration ou des technologies. Selon lui, il peut être plus compliqué d’y poser ses limites. Le télétravail tend aussi à rendre plus poreuses les frontières entre la vie personnelle et la vie professionnelle.
L’influence du travail sur l’identité est-elle plus marquée au sein de certaines générations? «Il est vrai que le travail est extrêmement valorisé par les baby-boomers. Les X ont essayé de trouver un équilibre. Quant aux millénariaux, ils n’hésitent pas à refuser un emploi. Mais la génération n’est pas tout. Il y a aussi des différences sur le plan individuel», souligne Mario Côté.
Des signaux à surveiller
Plusieurs symptômes peuvent servir de signal d’alarme lorsque quelque chose ne va pas. Parmi eux : la fatigue, l’irritabilité, l’incapacité à décrocher et les problèmes de santé variés. « Lorsqu’on a constamment notre travail en tête, on tend assurément vers la compulsion et la rumination. On a l’impression de ne jamais récupérer. On est en état d’épuisement et on se sous-investit dans d’autres sphères de notre vie, comme la famille et les proches, ou encore les loisirs », mentionne Simon Grenier.
Pour retrouver son équilibre, une prise de conscience est indispensable, et éventuellement un travail sur soi en psychothérapie. On peut aussi mettre en place des stratégies de protection : enchâsser des temps de repos dans son horaire et suspendre les notifications des appareils électroniques, par exemple.
Les entreprises ont aussi un rôle à jouer pour protéger leurs employés, notamment en les incitant à décrocher du travail et en offrant des ressources en cas de besoin. « Faire preuve de souplesse, inciter sa main-d’œuvre à prendre des vacances, mais aussi donner l’exemple en s’accordant des pauses sont d’autres bonnes stratégies à mettre en place par les gestionnaires », indique Mario Côté.
Pour sa part, Marie-Ève Plamondon a décidé de prendre une pause professionnelle pendant deux mois. Après avoir escaladé les sommets de Kalymnos, en Grèce, elle aborde désormais sa carrière avec un certain apaisement et ne s’identifie plus aussi fortement à son travail. « Je parviens à prendre du recul sur ma carrière et à faire la part des choses », conclut-elle.
1 – Plamondon, M.-È., « Est-ce que j'accorde trop de valeur à mon travail? », LinkedIn, 29 avril 2024.