Recrutement et gestion

Planifier les talents de manière stratégique

Texte rédigé par Revue Gestion

Les transformations s’accélèrent, les repères bougent et les besoins en talents évoluent parfois plus vite que les plans d’affaires. Dans cet environnement mouvant, miser sur la seule réactivité ne suffit plus : les organisations ont tout intérêt à penser leur main-d’œuvre comme un levier stratégique à part entière.

Plus que jamais, il devient essentiel de savoir anticiper, de cerner les trajectoires d’adaptation possibles et d’amorcer les changements nécessaires lorsqu’il s’agit de main-d’oeuvre1. Comment s’assurer d’avoir les bonnes personnes, au bon moment, dans le but de créer de la valeur dans l’organisation?

Si la vitesse à laquelle évolue le contexte d’affaires complique la prévision des besoins en matière de talents, c’est justement cette vélocité qui requiert une planification stratégique de la main-d’œuvre (PSMO). La démarche proposée, structurée en trois étapes, vise à nourrir les réflexions des comités de gestion et à guider les décisions liées aux talents. Elle s’appuie sur une combinaison d’expériences, de recherches et d’observations concrètes.

Qu’est-ce que la PSMO?

La planification stratégique de la main-d’œuvre est en quelque sorte le pendant humain de la stratégie d’affaires. Elle consiste à cerner, de façon structurée et continue, les besoins liés à la main-d’œuvre qui découlent des orientations stratégiques actuelles et futures d’une organisation, puis à élaborer un plan d’action pour les satisfaire.

Son objectif : assurer une cohérence durable entre les décisions liées aux talents (comme l’identification des rôles clés, la requalification et le développement des compétences) et les grandes orientations stratégiques. Ancrée dans une vision à long terme, la PSMO reste néanmoins souple : elle s’adapte aux imprévus et aux virages que peut imposer l’environnement d’affaires.

Les trois étapes de la PSMO

Le processus de planification stratégique de la main-d’œuvre s’articule autour de trois grandes étapes. Avant d’entamer ce processus, il est primordial de bien préparer les gestionnaires et les parties prenantes concernées : cela passe par une communication claire des objectifs et des orientations stratégiques afin d’en assurer une compréhension commune.

1 – Traduire sa stratégie d’affaires en besoins de main-d’œuvre

Au cœur de la PSMO se trouve un exercice clé : transformer la stratégie d’affaires en besoins concrets sur le plan des talents. Un outil particulièrement utile à cette fin est la carte stratégique, développée par Robert Kaplan et David Norton2. Cette approche consiste à définir d’abord les résultats attendus pour ensuite déterminer les compétences, comportements et rôles qui rendront ces résultats possibles3.

La carte stratégique prend la forme d’un schéma de type «cause à effet», qui met en relation les objectifs d’affaires et les leviers RH nécessaires pour les atteindre.

Il est possible de construire cette carte en animant, à travers toute l’organisation, des ateliers de remue-méninges qui réunissent autour d’une même table les parties prenantes déterminantes dans l’exécution de la stratégie. On y trouvera bien sûr les gestionnaires d’une même équipe de direction, mais aussi des collègues provenant d’autres services et qui exercent une influence sur les objectifs à atteindre, notamment par leur rôle dans les processus d’affaires. En comparant leurs perspectives, on fera émerger des échanges éclairants qui orienteront plus efficacement les actions à poser en matière de main-d’oeuvre4.

Pour guider ces échanges, il est utile de se baser sur les principaux objectifs stratégiques de l’organisation et de structurer la discussion autour des questions suivantes :

  • Quels sont les deux ou trois facteurs déterminants de notre succès ou de notre échec?
  • Quelles activités incontournables devrons-nous accomplir pour y parvenir?
  • Quels rôles, segments ou fonctions nous paraissent critiques?
  • Quelles compétences et connaissances seront indispensables demain?
  • Quels comportements, attitudes ou états d’esprit seront nécessaires à l’exécution de la stratégie?

Dans l’exemple de carte stratégique présenté précédemment, l’exercice de remue-méninges a permis de faire ressortir quatre résultats prioritaires liés aux talents, jugés essentiels pour atteindre l’objectif de réduction des coûts par l’automatisation. Ces constats ont mené à plusieurs pistes d’activités à prioriser, comme la création d’un programme de mandats ponctuels et l’instauration de rotations entre les secteurs.

2 – Évaluer les écarts, les forces, les faiblesses et les risques liés à la main-d’œuvre

La deuxième étape consiste à mesurer l’écart entre les besoins exprimés et les capacités actuelles de l’organisation. Il s’agit de déterminer si les compétences, les connaissances et les effectifs en place permettent réellement de soutenir les objectifs d’affaires, et si ce n’est pas le cas, de mesurer l’ampleur de cet écart.

Pour compléter ce portrait, on procède à une analyse des risques liés à la main-d’œuvre, en s’appuyant sur des données internes, telles que le taux de roulement, les départs à la retraite prévus ou la taille des équipes. Cette analyse doit croiser deux perspectives complémentaires :

  • D’un côté, il importe de cibler les risques existants, indépendamment de la stratégie à venir. Cela peut inclure les résultats issus des démarches de gestion de la relève (comme les départs anticipés), les objectifs en matière de diversité ou encore, les enjeux de dotation liés au marché du travail.
  • De l’autre, il faut s’interroger sur les effets anticipés de la stratégie d’affaires elle-même. Par exemple, une transformation majeure, comme l’automatisation de certaines fonctions, modifiera inévitablement le profil de la main-d’œuvre requise.

3 - Élaborer un plan d’action stratégique en matière de main-d’œuvre

Une fois l’analyse complétée, vient le moment de formaliser un plan d’action. Celui-ci devrait inclure un maximum de trois à cinq priorités et tenir sur une page.

Les actions peuvent porter sur différents leviers : acquisition de talents, développement et gestion de carrière, fidélisation des profils clés ou encore, réorganisation du travail en fonction de l’évolution du contexte.

L’important est de se fixer des objectifs qui sont spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporellement définis (SMART), et à définir des jalons permettant de suivre les progrès.

Trois éléments à considérer pour réussir la PSMO

Afin que la planification stratégique de la main-d’œuvre prenne toute sa valeur et soit garante de succès, certains éléments doivent être considérés. En voici trois qui méritent une attention particulière :

1 – Le statu quo a un coût

L’absence d’une planification stratégique de la main-d’œuvre nuit à la cohérence entre les investissements RH et les objectifs d’affaires. Cela peut entraîner des pertes importantes, notamment en matière de savoir organisationnel, par exemple en cas de licenciement de personnes qui auraient pu être requalifiées.

2 – L’engagement des dirigeants est indispensable

Pour que la démarche fonctionne, l’adhésion active de la direction est essentielle. Participer aux ateliers de création de la carte stratégique ou soutenir les efforts de développement de compétences en les liant aux priorités d’affaires sont deux gestes concrets. Dans le but d’assurer la pérennité de la PSMO, il faut également l’intégrer aux activités habituelles de gestion, en inscrivant par exemple la carte stratégique dans le cycle annuel de planification et en suivant l’évolution du plan d’action à chaque rencontre trimestrielle du comité de gestion.

3 – La technologie ne suffit pas

Il existe de nombreuses solutions technologiques pour appuyer la PSMO. Mais sans une véritable capacité, au sein de l’organisation, à traduire la stratégie en réels besoins de main-d’œuvre, ces outils risquent de produire de bonnes réponses à de mauvaises questions. Mieux vaut avancer par petits pas, en s’appuyant d’abord sur des questions bien formulées, adaptées au contexte de l’entreprise.

En somme, la planification stratégique de la main-d’œuvre permet de mieux arrimer les décisions RH à la réalité d’affaires, tout en gardant la souplesse nécessaire pour naviguer dans un environnement en transformation. C’est une démarche qui gagne à être intégrée dans la gestion quotidienne, non pas comme un exercice ponctuel, mais comme un réflexe stratégique au service de l’organisation et au service des personnes qui la font avancer.

 

Notes
1 – Sokol, M. B., et Tarulli, B. A. (éd.), Strategic Workforce Planning: Best Practices and Emerging Directions, Oxford (Angleterre), Oxford University Press, 2024, 416 pages.
2 – Kaplan, R. S., et Norton, D. P., «The balanced scorecard: Measures that drive performance», Harvard Business Review, vol. 70, n° 1, janvier-février 1992, p. 71-79.
3 – Becker, B. E., Huselid, M. A., et Beatty, R. W., The Differentiated Workforce: Transforming Talent Into Strategic Impact, Boston, Harvard Business Press, 2009, 272 pages.
4 – Ward, D. L., Positioned: Strategic Workforce Planning That Gets the Right Person in the Right Job, Nashville, Amacom, 2013, 304 pages.

 

 

1.0.0.0